Annemie SCHAUS

Pouvez-vous nous dire quel a été votre parcours étudiant ? Avez-vous été active dans des associations étudiantes ?

Je suis diplômée en droit (1983-1988) et en droit international (1988-1989) (sans embûche ;-). J’ai cumulé la dernière licence en droit avec la première en droit international ainsi qu’avec un stage à l’Université de Mainz en Allemagne.  Pendant la seconde année en droit international, j’ai participé au concours Charles Rousseau que nous avons gagné (avec Nicolas Angelet, Olivier Corten et Pierre Klein) tout en étant stagiaire au barreau de Bruxelles ! Je n’ai pas été membre d’associations étudiantes mais j’ai été très proche de membres actifs du Librex, notamment ma regrettée amie Régine Beauthier.    

Quel regard portez-vous sur l’engagement étudiant actuel ? (Cercles facultaires et folkloriques, Bureaux étudiants, Associations militantes, etc.) Comment comptez-vous valoriser cette richesse de notre Université ?

Mon programme (https ://www.annemieschaus2020.org) vise notamment à retisser du lien au sein de la communauté universitaire, en le fondant principalement sur les valeurs que nous partageons et qui ont depuis longtemps fait la spécificité de notre Université. Nous vivons une époque où nombre de défis sociaux, économiques, politiques et environnementaux doivent être rencontrés. J’aimerais mobiliser notre communauté universitaire dans son ensemble pour contribuer à la réflexion et à l’action en ces matières. Je pense aussi qu’il y a encore beaucoup à faire pour mobiliser les étudiants et les soutenir davantage dans leur action sociale et solidaire. Dès le début de mon mandat, j’inviterai les associations étudiantes, quelle que soit leur raison sociale, à me rencontrer pour définir ensemble les projets sur lesquels nous aimerions développer notre mission.

Quel est votre parcours académique au sein de notre Alma Mater ? Qu’enseignez-vous actuellement ?

Après mes études, j’ai été 5 ans avocate temps plein au barreau de Bruxelles, notamment au cabinet de Roger Lallemand, avant de rejoindre, comme une évidence, l’ULB : assistante à temps partiel puis à temps plein, ensuite première assistante jusqu’à professeure ordinaire. J’ai été doyenne de la Faculté de droit et criminologie et vice-rectrice à la politique académique. J’enseigne le droit des libertés publiques (BA2), les intersections entre les ordres juridiques internationaux et nationaux (MA1 et MA2), et je coordonne la Clinique des droits et libertés (MA2). 

Comment définiriez-vous les valeurs de l’Université et le principe du libre examen en 2020 ? Quelles places devraient-ils avoir aujourd’hui dans l’enseignement à l’ULB ?

Par son histoire tissée d’engagements, de résistances et de frondes, notre Université a développé et défendu une identité singulière fondée sur l’esprit critique, l’engagement, la culture, la solidarité et la fraternité. Sa recherche et son enseignement ont pour méthode le libre examen.  En quelques années notre Université s’est beaucoup transformée : le nombre d’étudiants s’est accru de manière très significative, et notre Université s’est fortement diversifiée en accueillant de plus en plus d’étudiants, de chercheurs et d’enseignants venant de l’étranger. Leur rapport aux valeurs fondatrices de notre Université est donc différent. Un chantier doit s’ouvrir, qui visera à renforcer le lien entre les membres de la communauté universitaire et l’identité de notre Université. En premier lieu, le libre examen, et ce en visant par une campagne de communication interne à remettre ce principe au fronton de nos campus, et en faisant en sorte que chaque étudiant entrant en BA1 dispose d’une séquence pédagogique qui clarifie ce que cela signifie. En une époque troublée comme la nôtre, où l’obscurantisme gagne du terrain et où la méthode scientifique est fortement mise en doute par des discours relativistes, il me paraît essentiel d’assurer avec force et vigueur la promotion, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Université, de la méthode scientifique, du savoir critique, du rejet de l’argument d’autorité. Il y a là un combat essentiel à mener auprès de nos propres étudiants, et également en portant ce message dans les écoles secondaires, avec lesquelles nous allons poursuivre et renforcer le dialogue.

À cet égard, quel rôle l’Université doit-elle jouer dans la Cité ?

L’ULB a toujours été un symbole fort de la diversité bruxelloise et a toujours joué un rôle clé dans la vie de la cité comme dans le rayonnement de la capitale. Université urbaine, au cœur de Bruxelles, dans un quartier considéré par le Guardian comme le deuxième lieu le plus « cool » d’Europe, au centre d’une Région ardente et multiculturelle promise à une plus grande autonomie dans la Belgique fédérale – il ne faut pas en douter –, l’ULB bénéficie d’un ancrage que beaucoup d’universités dans le monde lui envient. Elle doit mettre à profit cette situation pour consolider toujours plus ses relations historiques privilégiées avec la Ville de Bruxelles, intensifier ses partenariats avec les autres communes bruxelloises, notamment la commune d’Ixelles, ainsi qu’avec les mondes économique, culturel et associatif bruxellois. Elle doit aussi par cet ancrage, soutenir la vie étudiante dans la cité qui la renforce et la distingue et œuvrer à offrir des logements étudiants à des prix accessibles. Les communes concernées sont preneuses d’un tel soutien.  L’ULB est aussi depuis longtemps wallonne, à Mons et à Charleroi, c’est primordial pour nos étudiants et le déploiement de notre Institution. Bien sûr, les relations avec la VUB sont d’une grande richesse, qu’il faut entretenir et consolider. Un défi majeur est le développement urbanistique de nos campus dans le respect des exigences du développement durable. Voyez aussi https://www.annemieschaus2020.org

De façon globale, quelle est votre analyse quant à l’évolution de l’Université ces dernières années ?

L’Université a connu une transformation  profonde : augmentation considérable du nombre d’étudiants; accroissement beaucoup plus lent des personnels enseignants et administratifs et des infrastructures; alourdissement des tâches d’enseignement et d’apprentissages pour les étudiants, d’examen et d’administration; spécialisation accrue des compétences; transformation de la recherche; contraintes financières; course aux financements extérieurs; pression de la concurrence internationale et locale; intégration dans un monde globalisé. Cette transformation s’est traduite par des changements radicaux amorcés au milieu des années 1990, et dont la fin n’est pas annoncée. L’Université en est ainsi venue à répondre à des règlementations très nombreuses, quand elle ne s’imposait pas elle-même de multiples réformes ou tentait de se conformer à des attentes multiples et parfois contradictoires. Les progrès accomplis ces vingt-cinq dernières années sont impressionnants. L’Université devait s’ouvrir : faute de se déployer, particulièrement à l’international, elle serait restée dans un localisme auto-satisfait. Cependant, l’Université, qui se définissait en fonction de sa mission, est passée d’un modèle institutionnel à un modèle organisationnel. Elle ne réfléchit plus assez selon le critère d’effectivité : quels sont les besoins des étudiants, comment maintenir envers et contre tout son rôle d’ascenseur social pour tous et toutes; comment garder et renforcer son rôle pour garantir l’égalité dans l’enseignement supérieur mais aussi secondaire et la qualité des enseignements ? L’ULB recèle de pépites inouïes pour répondre à ces défis complexes mais enthousiasmants. Tous les corps qui la composent – oui, oui, étudiants et Alumni aussi – ont des projets et des idées susceptibles de la faire progresser. Il faut les intégrer d’urgence.

La crise sanitaire aura été, à bien des égards, un révélateur. Qu’a-t-elle révélé sur l’enseignement universitaire et comment voyez-vous l’après Covid-19 à l’ULB ?

Si je suis élue, il ne m’appartiendra pas de décider de l’après Covid. Ce sera à toute la communauté universitaire, qui, comme elle en a démontré ces derniers mois la richesse des analyses, d’inventer le monde d’après, sachant que d’autres crises s’annoncent indubitablement. Celles liées au climat sont évidentes et il faut tenir compte de ses défis et des attentes si légitimes et novatrices de la jeunesse. C’est pourquoi, je proposerai un vice-rectorat à la transition écologique et numérique. Elle conditionne toute la politique et doit en faire partie dans toutes les décisions. L’enseignement à distance a eu des impacts indéniables sur le développement durable, démontrés par l’IGEAT. Il faudra tirer les leçons de ce que nous avons appris de l’enseignement à distance par l’expérience des étudiants et des enseignants. Des enquêtes auprès des étudiants ont eu lieu et continuent d’être  menées : ils sont les premiers concernés et que dire de nos premiers bacheliers qui auront déjà vécu une rétho désarçonnante. La priorité de l’enseignement en présentiel doit leur être accordée. Il faudra aussi mener une réelle enquête auprès des enseignants.  Sur cette base, nous pourrons, ensemble, en tirer les leçons. Qu’il soit cependant clair que l’enseignement à distance ne sera jamais l’occasion de faire des économies ni de remplacer la richesse de la vie universitaire.

Quels sont les points phares de votre programme que vous développerez prioritairement ?

Mon  objectif : revenir à l’essentiel. Il est capital de redonner du sens à notre métier d’enseignant, d’étudiant, d’administratif. Toutes les mesures concrètes de mon programme vont en ce sens et sont toutes des priorités ! J’en ai vérifié la finançabilité. Les chiffres ont été soumis à des spécialistes. Si je dois souligner quelques-unes de ces mesures, je citerai 

  1. la défiscalisation de la recherche : cette mesure qui améliorera substantiellement les finances de l’ULB est assez technique ; vous la trouvez développée sur mon site (https://www.annemieschaus2020.org/mon-programme/#acc01 ). Elle n’a pas été la priorité mais elle est pourtant fondée juridiquement et politiquement. L’ULB s’attèle à l’améliorer depuis 2-3 mois. Mais on peut faire beaucoup mieux, comme les universités flamandes qui défiscalisent au moins le double (par an la VUB : 14 millions € ; l’ULB : 6,9 millions €). Aucune crainte de redressement fiscal : le ruling fiscal en sera le cadre évident ;
  2. les actions blanches : elles permettront de laisser le temps aux chercheurs de s’investir, libres, dans la recherche fondamentale qui est le cœur d’une Université et l’avenir de sa spécificité (https://www.annemieschaus2020.org/mon-programme/#acco03); 
  3. l’amélioration du bien-être au travail : la distance entre une meilleure prise en compte des préoccupations de notre communauté et ce qu’il est possible de réaliser n’est pas aussi grande qu’il n’y parait; la lutte contre le harcèlement sous toutes ces formes doit être une priorité ; 
  4. les défis de l’enseignement sont énormes. Ils ont été mis en évidence dans le plan stratégique ULB 2030. Un plan d’action doit être adopté dans la concertation la plus large possible ;
  5. la vie étudiante dans tous ses aspects, en ce compris bien sûr le parcours académique des étudiants, doit encore être amélioré. Je parlerai des anciens de l’ULB ci-dessous.

Quelle politique comptez-vous mener avec l’UAE et les associations postfacultaires et quel rôle voyez-vous pour les Ancien.ne.s au sein de l’Université ?

Les anciens de l’ULB sont très majoritairement fiers d’y avoir étudié et sont demandeurs de maintenir des relations avec leur Alma Mater. Car l’histoire de l’ULB est particulière et laisse une trace forte dans la mémoire de celles et ceux qui l’ont fréquentée, tout comme souvent elle détermine leurs engagements sociaux présents. Celles et ceux qui ont choisi l’ULB pour se former et se construire un avenir professionnel se sentent redevables à l’égard de l’Institution qui, à un moment crucial de leur vie, a constitué leur foyer et le lieu de leur déploiement. Nous avons besoin d’eux, de leur fidélité, de leur savoir-faire, de leur expérience, de leur tissu d’insertion. Garder et renforcer le lien avec nos Alumni est une richesse énorme. Il ressort des discussions institutionnelles mais aussi de celles que j’ai pu avoir avec un nombre significatif d’anciens, qu’il est nécessaire d’améliorer la communication avec eux et de dépasser le fonctionnement en réseau des différents cercles d’Alumni qui ne communiquent pas toujours entre eux. Un lien étroit avec les Alumni permet aussi de favoriser l’échange des connaissances avec le monde « extra-universitaire ». Il permettrait de renforcer la collaboration entre l’Université et les institutions publiques (institutions européennes ou internationales, administrations publiques, pouvoirs locaux, ONG …), d’ouvrir l’Université vers l’étranger (en créant notamment un réseau des Alumni de l’étranger) et sur le monde professionnel et d’offrir un réseau aux étudiants. Enfin, les Alumni sont demandeurs de réunions d’échanges sur l’avenir de l’Université — leur regard critique et extérieur sur notre communauté universitaire, à laquelle ils appartiennent symboliquement, et de manière forte, est fondamental pour notre développement. 

Jusqu’ici notre université a trop peu travaillé à renforcer le lien avec nos Alumni, à la fois pour entretenir un rapport étroit avec l’Université, pour créer une grande et forte communauté autour de ceux qui sont actuellement actifs sur les campus et de ceux qui l’ont été, et enfin pour s’appuyer sur l’expertise et le réseau des anciens étudiants devenus actifs dans la vie professionnelle. 

Le lien avec l’UAE devra ainsi être renforcé et j’aurai à cœur de rationaliser la communication vers les Alumni pour davantage d’efficacité.


La question que vous auriez eu envie que l’on vous pose et votre réponse à cette dernière ?

Pourquoi vous présentez-vous au rectorat ? Si j’ai décidé de sacrifier quatre – voire plus – années de ma vie privée et professionnelle pour me consacrer à la gouvernance de notre Université, c’est que j’ai une véritable passion pour mon Alma Mater et que je suis convaincue que je peux lui apporter quelque chose de particulier et de désintéressé. Mon objectif n’est pas de développer l’ULB pour qu’elle soit compétitive sur le marché des savoirs, mais plutôt pour qu’elle se recentre sur ses missions, ses valeurs, sa communauté, le bien-être de ses personnels et sa singularité dans le paysage universitaire. Je pense pouvoir m’appuyer pour cela sur ma longue expérience en tant que doyenne de faculté et en tant que vice-rectrice, sur mon ardeur et mon enthousiasme, sur mon empathie et le regard que je porte sur les autres. Je pense très sincèrement, sans vanité aucune, que je peux apporter quelque chose de particulier à notre Université aujourd’hui, et je suis prête à me dévouer entièrement pour elle durant mon mandat, consciente de la responsabilité particulière qui m’incombera.

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