François HEINDERYCKX

Pouvez-vous nous dire quel a été votre parcours étudiant ? Avez-vous été actif dans des associations étudiantes ?

Après une scolarité partagée entre l’École Decroly et l’Athenée Royal de Watermael-Boistsfort, je suis parti un an aux États-Unis, près de Seattle, comme étudiant d’échange. À mon retour j’ai suivi des études de journalisme et communication à l’ULB où j’ai ensuite entrepris un doctorat (grâce à un mandat d’Aspirant du FNRS). J’ai été surtout actif dans les instances participatives en qualité de représentant des étudiants à différents niveaux.

Quel regard portez-vous sur l’engagement étudiant actuel ? (Cercles facultaires et folkloriques, Bureaux étudiants, Associations militantes, etc.) Comment comptez-vous valoriser cette richesse de notre Université ?

L’Université connaît une crise des formes institutionnalisées d’engagement. Par exemple, on a beaucoup de mal à motiver les étudiantes et les étudiants à se présenter pour siéger dans les instances représentatives, et même simplement à aller voter le jour d’une élection. Par contre, comme dans le reste de la société, de nouvelles formes d’engagement se sont développées dans l’humanitaire, l’associatif et de grandes causes politiques telles que la protection de l’environnement ou le respect des droits de l’homme. L’ULB doit donc s’interroger sur la possibilité d’adapter les formes d’engagement étudiant afin de préserver et d’amplifier l’indispensable dynamique participative dont dépend l’équilibre de la gouvernance et, au-delà, de la culture de notre université, tout en tenant compte de l’évolution des attentes et des réticences de la Génération Z.

Quel est votre parcours académique au sein de notre Alma Mater ? Qu’enseignez-vous actuellement ?

Après des mandats temporaires dans le corps scientifique, j’ai été Aspirant du FNRS (1992-1996), puis Maître de conférences (1996-1999), puis chargé de cours à temps plein (1999-2005), puis professeur (2005-2008) et enfin professeur ordinaire depuis 2008. J’enseigne la sociologie des médias et la communication politique.

Comment définiriez-vous les valeurs de l’Université et le principe du libre examen en 2020 ? Quelles places devraient-ils avoir aujourd’hui dans l’enseignement à l’ULB ?

Le libre examen n’a rien perdu de sa pertinence et de son importance fondamentale comme méthode. Au fil des ans, et il faut s’en réjouir, il s’est répandu au-delà des murs de l’ULB pour faire largement partie, aujourd’hui, de la culture académique mondiale, même s’il n’est pas systématiquement identifié sous cette appellation.
Régulièrement, à l’occasion d’un débat ou d’une réunion scientifique, nous avons l’occasion d’envisager une réinterprétation contemporaine du libre examen. Il faut non seulement imaginer ce qu’il représente face aux enjeux et aux défis actuels, mais aussi comment le revitaliser afin de retrouver à l’ULB une démarche et un état d’esprit qui nous ramène dans la posture pionnière qui a si longtemps été la nôtre en la matière. Il faut aussi trouver des formes d’expression et de réalisation du libre examen qui parle à la génération actuelle de nos étudiantes et de nos étudiants. Il faut pour cela les impliquer et leur permettre de se le réapproprier pour lui donner un nouvel élan.
Je constate avec bonheur que l’ULB s’affiche régulièrement dans l’expression la plus concrète de ses valeurs humanistes dont nous avons tant besoin aujourd’hui. Qu’il s’agisse, symboliquement, de condamner les actes et les déclarations abjects ; ou qu’il s’agisse, concrètement, d’agir pour soutenir, assister ou accueillir ceux et celles qui en ont le plus besoin, l’ULB, dans les limites de ses moyens, entretient une longue tradition de bienveillance au service de la démocratie, de la liberté, de l’entre-aide et de la tolérance.

À cet égard, quel rôle l’Université doit-elle jouer dans la Cité ?

La crise sanitaire constitue une magnifique démonstration du rôle primordial que doit jouer l’Université dans la Cité. Face au péril et à l’incertitude, les autorités publiques, les journalistes et la société civile se tournent naturellement vers l’institution dont le rôle fondamental est de développer et de diffuser les connaissances. Lorsque comprendre la réalité devient subitement une question de vie ou de mort, l’importance du développement des connaissances apparaît dans toute son évidence et sa priorité. Les circonstances exceptionnelles que nous traversons constituent donc un rappel particulièrement efficace du rôle fondamental des institutions de recherche et d’enseignement, et ce au moment où on désespère de trouver les moyens et la volonté politique d’un refinancement tant attendu.
Plus largement, l’Université doit poursuivre ses efforts pour partager les connaissances avec la population la plus large. Des indices semblent en effet indiquer que sous les effets combinés d’une crise de confiance dans les institutions et de phénomènes de circulation rapide d’informations erronées, trompeuses et malveillantes (l’infodémie), une partie significative de la population se révèle vulnérable à la manipulation et développe une perception biaisée de la réalité. La facilité avec laquelle des théories complotistes et fantaisistes, le déni d’un certain nombre de réalités (changement climatique, et même la pandémie) ou des périls imaginaires (vaccins) sont autant d’indices que le système éducatif et médiatique ne suffit plus à armer la population des outils de la raison. Cette défaillance invite une intervention urgente et énergique dans laquelle l’Université jouera nécessairement un rôle central.

De façon globale, quelle est votre analyse quant à l’évolution de l’Université ces dernières années ?

L’ULB a beaucoup changé, tout en restant, fondamentalement, l’ULB. D’abord, elle a beaucoup grandi sous l’impulsion d’une augmentation spectaculaire de son nombre d’étudiants. On ne peut que s’en réjouir, sauf que les moyens dont elle dispose ne bénéficient pas de l’élasticité nécessaire pour assumer, en temps réel, cette croissance. Le personnel n’a pas pu croître en proportion, pas plus que les infrastructures. L’intelligence, la résilience et la créativité du personnel ont été mises à contribution pour maintenir et même, par bien des aspects, améliorer la qualité et les ambitions de l’enseignement, de la recherche et du service à la communauté, malgré cette mise en tension des ressources face à l’augmentation des effectifs étudiants.
La gouvernance, la gestion et l’administration de l’Université ont également évolué considérablement dans le sens d’une meilleure efficacité et d’une professionnalisation. Les systèmes informatiques ont connu une énorme réorganisation, tant pour l’administration que pour l’enseignement et la recherche, mais elle n’est pas encore tout à fait aboutie. Le volet concernant l’administration ne s’est pas déroulé exactement comme prévu, mais le processus contribue néanmoins à une modernisation considérable et bien nécessaire des principaux départements administratifs.
Enfin, un plan immobilier doublé d’une véritable réflexion urbanistique laisse entrevoir une réelle amélioration des infrastructures et, après un certain nombre de déménagements dans les années à venir, la réorganisation de nos campus suivant une logique de cohérence thématique (santé à Erasme, science et techniques à La Plaine et sciences humaines et sociales au Solbosch).
L’évolution de l’ULB est donc tout à fait favorable, mais un certain nombre de paramètres la fragilisent et il est absolument indispensable de se préparer au mieux aux défis prévisibles qui nous attendent dans les années à venir, tout en espérant que des défis imprévus ne viendront pas s’y ajouter.

La crise sanitaire aura été, à bien des égards, un révélateur. Qu’a-t-elle révélé sur l’enseignement universitaire et comment voyez-vous l’après Covid-19 à l’ULB ?

En matière d’enseignement, la crise sanitaire a révélé au moins deux réalités antagonistes. D’une part, elle nous a rappelé l’importance fondamentale du rapport présentiel, du face-à-face, de la richesse des interactions entre personnes partageant un espace physique. La vague représentation aplatie et pixellisée de la réalité permise par les techniques de visiophonie ou de visioconférence n’est qu’un mauvais pis-aller. Mais, par ailleurs, on a pris la mesure des bénéfices apportés par les techniques de communication numérique. Non seulement elles ont permis de maintenir un niveau minimaliste, mais salutaire d’échanges pédagogiques, mais les enseignantes et enseignants, même réticents, ont été amenés à se dépasser et à s’approprier des outils suivant des modalités qui, pour certaines, mériteront sans doute d’être maintenues lorsque la situation se sera normalisée. Autrement dit, certains des usages qui se sont développés par nécessité pourront, plus tard, enrichir l’arsenal pédagogique sans s’y substituer. La pandémie a donc rappelé l’importance des formes les plus archaïques d’interaction (en présence l’un de l’autre) tout en stimulant le recours, à titre complémentaire, des techniques et des outils numériques les plus avancés.

Quels sont les points phares de votre programme que vous développerez prioritairement ?

Mon programme est structuré en 20 priorités qui correspondent à 20 thématiques dont il me semble que l’ULB devrait s’emparer au plus vite. Elles concernent tantôt des enjeux internes, tantôt des enjeux sociétaux. L’ensemble de mes priorités et leur explication sont consultables sur mon site web (fheinderyckx.ulb.be).
Certaines de ces priorités sont susceptibles d’affecter l’ensemble de l’institution de façon profonde et transversale. C’est particulièrement le cas de la science ouverte (Open Science). L’ULB est, par bien des aspects, déjà engagée de plain-pied dans la science ouverte. Mais il faut à présent qu’elle s’y engage avec détermination et de façon concertée. La science ouverte ne relève pas, comme certains pourraient encore le croire, d’une mode passagère ou d’une utopie naïve. Il s’agit rien moins que du nouveau paradigme de l’université qui va bien au-delà des emblématiques publications en accès libre (Open Access) ou logiciels libres (Open Source).
D’une part, la science ouverte se manifeste sous la forme de principes liés notamment au partage, à la transparence, à la multidisciplinarité et au respect et à la valorisation de la diversité des langues ; principes qui résonnent parfaitement avec la culture, les usages et les traditions de l’ULB. Ces principes doivent imprégner en profondeur notre culture académique (y compris l’enseignement) et de gestion institutionnelle (y compris, par exemple, la façon d’aborder les recrutements et les progressions de carrière). D’autre part, la science ouverte se matérialise sous la forme de dispositifs, de procédures, de chartes ou de méthodes éprouvées qui peuvent être adaptées dans les universités qui souhaitent s’engager dans cette voie.

Quelle politique comptez-vous mener avec l’UAE et les associations postfacultaires et quel rôle voyez-vous pour les Ancien.ne.s au sein de l’Université ?

L’ULB a entrepris, il y a plusieurs années, de revoir fondamentalement sa stratégie à l’égard de ses anciens. Un travail de fond a été entrepris pour renouer des liens avec les anciens (et d’abord retrouver leur trace) et des initiatives ont été prises afin de garder le contact avec ceux et celles que nous diplômons chaque année. La généralisation des très populaires cérémonies des diplômés en fait partie. D’une certaine façon, ces initiatives pourraient être vues comme interférant avec les efforts de l’UAE et des postfacultaires. Je pense au contraire que les efforts de l’Université et ceux de l’Union des Anciens, parce qu’ils convergent dans l’objectif fondamental de développer une communauté active et investie, entrent en résonnance et pourraient se renforcer mutuellement moyennant un minimum de coordination.
Nous envions parfois les grandes universités, notamment aux États-Unis, qui bénéficient plus naturellement de la générosité, parfois considérable, de beaucoup de leurs alumni. Nous sommes souvent résignés au constat qu’une telle générosité ne serait pas dans “notre culture”. Si tel est le cas, il nous appartient de trouver les moyens d’altérer cette culture et de susciter chez ceux et celles dont la réussite professionnelle peut être en partie au moins attribuée à leur parcours universitaire, d’exprimer leur reconnaissance en contribuant à notre financement. Les excellents résultats déjà obtenus par la Fondation ULB montrent qu’il est possible de lever des fonds considérables lorsqu’ils sont destinés à des projets précis et prometteurs de recherche. La même stratégie devrait permettre de susciter des dons pour des dépenses dans d’autres secteurs budgétaires sous-financés tels que les infrastructures et les bâtiments, l’enseignement ou les équipements.


La question que vous auriez eu envie que l’on vous pose et votre réponse à cette dernière ?

Quelles sont les motivations profondes de cette candidature au rectorat de l’ULB?
Depuis mes années d’étudiant, je me suis souvent porté volontaire pour assumer des mandats pour lesquels personne ne semblait vouloir s’engager. J’ai progressivement pris goût à m’investir dans la gestion parce que l’on comprend tellement mieux le fonctionnement des institutions en s’impliquant dans leur gestion. J’ai ensuite constaté que dans certaines fonctions, bien que les marges de manœuvre soient très limitées, il est néanmoins possible d’impulser une idée, de donner une inflexion ou de résoudre des problèmes. Lorsque les efforts aboutissent à des résultats, l’expérience est véritablement gratifiante.
Comme premier doyen d’une nouvelle faculté (la Faculté de Lettres, Traduction et Communication), j’ai bénéficié, avec mon équipe, d’un espace d’initiative exceptionnel. Il s’agissait de créer du neuf et de le faire de la façon la mieux adaptée au contexte et aux contraintes. Tout mon parcours, y compris comme président de l’association européenne, puis de l’association mondiale des chercheurs de ma discipline, m’a permis de multiplier les rencontres, les expériences et les réflexions sur l’université du 21e siècle. J’ai décidé que je me porterais candidat au Rectorat si je parvenais à agencer ces idées en un programme qui me motive et me stimule.
Plus d’une fois, lorsque je me portais candidat à un mandat de gestion, il m’est revenu qu’on me prêtait une ambition personnelle. C’est le lot de ceux et celles qui proposent de s’investir, mais je réfute catégoriquement cette interprétation, même si elle n’a rien d’insultant. L’ambition qui m’anime n’est pas celle d’un titre ou d’une fonction, mais celle d’un projet. Je ne suis pas candidat à cette élection pour devenir Recteur, mais pour mener à bien des projets que j’estime fondamentaux et urgents, pour le bien de l’institution et de sa communauté. Je ne suis pas candidat pour être, mais pour faire.

Retour en haut